Emil Cioran

C'est à cause de la parole que les hommes donnent l'illusion d'être libres. S'ils faisaient - sans un mot - ce qu'ils font, on les prendrait pour des robots. En parlant, ils se trompent eux-mêmes, comme ils trompent les autres : en annonçant ce qu'ils vont exécuter, comment pourrait-on penser qu'ils ne sont pas maîtres de leurs actes ?

Des opinions, oui ; des convictions, non. Tel est le point de départ de la fierté intellectuelle.

Dès que quelqu'un me parle d'élites, je sais que je me trouve en présence d'un crétin.

Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour !

Il y a des gens si bêtes, que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.

J'appelle travail tout effort exempt de plaisir, ou plutôt : un effort qui vous diminue à vos propres yeux.

Je m'intéresse à n'importe qui sauf aux autres.

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.

La seule utilité des enterrements, c'est de nous permettre de nous réconcilier avec nos ennemis.

Le droit de supprimer tous ceux qui nous agacent devrait figurer en première place dans la constitution de la Cité idéale.

Le fait que j'existe prouve que le monde n'a pas de sens.

Le grand avantage qu'il y a à aller voir du monde, c'est de se dire qu'on a tout pour être heureux pourvu qu'on reste seul avec soi.

Le mégalomane est un homme qui dit tout haut ce que chacun pense de soi tout bas.

L'histoire, en effet, se ramène à une classification des polices ; car de quoi traite l'historien sinon de la conception que les hommes se sont faite du gendarme à travers les âges.

L'homme accepte la mort, mais non l'heure de sa mort. Mourir n'importe quand, sauf quand il faut que l'on meure !

Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?

On ne demande pas la liberté, mais l'illusion de liberté. C'est pour cette illusion que l'humanité se démène depuis des millénaires.
Du reste la liberté étant, comme on a dit, une sensation, quelle différence y a-t-il entre être libre et se croire libre ?

On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose.

Par peur d'être quelconque, j'ai fini par n'être rien.

Tout ce que j'ai de bon vient de ma paresse ; sans elle, qui m'aurait empêché de mettre en application mes mauvais desseins ? Elle m'a heureusement contenu dans les limites de la "vertu".

Tous nos vices viennent de l'excès d'activité, de cette propension à nous réaliser, à donner une apparence honorable à nos travers.